La journée internationale pour les droits des femmes, célébrée le 8 mars, a été l’occasion de rappeler les progrès effectués, mais aussi ceux qui demeurent à faire, concernant la place des femmes en science.
Encore aujourd’hui, les milieux scientifiques sont des milieux principalement masculins : seulement 28% des chercheurs(euses) scientifiques dans le monde sont des femmes. Il s’agit de milieux peu accueillants ou accommodants pour les femmes, ayant été historiquement structurés par et pour des hommes. Il y a à peine 100 ans, les femmes de science étaient ouvertement décrédibilisées et marginalisées dans les professions scientifiques et technologiques. Maintenant, malgré différentes mesures prises depuis quelques années, les parcours d’étude en sciences « dures » (sciences, technologies, génie et mathématiques, les STEM) sont moins souvent choisis par les femmes. Encore moins d’entre elles persistent dans le monde de la recherche scientifique par la suite. Celles qui occupent des postes en science dans les facultés et les entreprises sont souvent moins bien payées et reçoivent moins en subventions, se retrouvent moins dans des postes de direction, et sont moins publiées.
L’adoption de politiques en matière de harcèlement sexuel et de conciliation travail-famille sont susceptibles de rendre les milieux scientifiques plus accueillants pour les femmes.
La question de la représentation des femmes en science soulève évidemment des enjeux en matière d’égalité entre les sexes, et d’équité, de diversité et d’inclusion plus généralement. Pour la suite, nous aimerions cependant attirer l’attention sur trois autres enjeux éthiques parallèles : la révision de l’histoire des sciences pour y faire une plus grande place aux femmes, les injustices épistémiques qui ont encore cours au détriment des femmes dans les milieux scientifiques, et la sous-représentation de participantes féminines dans les essais cliniques et la recherche biomédicale.
Réécrire au féminin une histoire des sciences écrite par des hommes
Un sondage récent montrait que la moitié des Canadiens étaient incapables de nommer ne serait-ce qu’une femme qui ait fait sa marque en science ou en génie. C’est dire à quel point l’histoire des sciences qui nous est racontée encore aujourd’hui met en scène presqu’exclusivement des hommes. Plusieurs pourront nommer Marie Skłodowska-Curie, dont le prix Nobel de physique date néanmoins de 1903 et depuis laquelle une foule de femmes de science ont vécu et marqué leur champ.
Pourtant, l’Histoire n’a pas retenu ces femmes, certes minoritaires, mais qui doivent leur mise à l’écart de nos mémoires surtout à des préjugés entretenus à leur époque, particulièrement par leurs collègues masculins. Pendant longtemps, et encore aujourd’hui dans une moindre mesure, les hommes étaient davantage pris au sérieux en sciences. Cela fait en sorte qu’il était inusité d’attribuer du « vrai » travail scientifique, voir des découvertes scientifiques importantes, à une femme. L’Histoire aura notamment retenu le Nobel de médecine de Messieurs Watson, Crick et Wilkins en 1962 pour la découverte de la structure en double hélice de l’ADN, laissant plutôt en marge le rôle déterminant joué par Madame Rosalind Franklin dans cette découverte.
Il y a maintenant un enjeu éthique pour l’historien(ne) des sciences, qui doit chercher à déconstruire les préjugés à l’œuvre dans la façon dont les événements, recherches et découvertes scientifiques ont été rapportés, de manière à formuler une histoire des sciences plus juste et plus inclusive. C’est un impératif éthique, dans la mesure où il s’agit de corriger une injustice dont les historiens se sont rendus coupables, mais aussi parce que cela permettrait d’identifier des modèles scientifiques féminins pour les jeunes femmes, dont la présence est un facteur important dans leur choix des carrières scientifiques.
Dans le monde de la recherche et de la publication scientifiques, la crédibilité d’un(e) chercheur(euse) est un actif essentiel, qui s’établit entre autres par la publication dans des revues prestigieuses, l’obtention de subventions et, généralement, la reconnaissance des pairs. Lorsque la crédibilité d’un(e) chercheur(euse) est dénigrée, consciemment ou inconsciemment, sur la base de critères extérieurs aux normes de la rigueur scientifique, il y a là une forme d’injustice.
Comme l’a par exemple avancé la philosophe Miranda Fricker, on parle d’injustice épistémique lorsqu’une personne ou un groupe est injustement limité dans sa capacité à produire de la connaissance ou à la diffuser, à participer aux institutions liées à la connaissance (comme la recherche universitaire), ou lorsqu’on accorde peu ou pas de crédibilité aux perspectives ou aux positions qu’il ou elle exprime. Cela est injuste lorsque cette marginalisation repose, consciemment ou inconsciemment, sur des critères qui ne sont pas pertinents scientifiquement comme, par exemple, le fait d’être une femme. Force est de constater que les femmes en science souffrent encore de n’être pas prises au sérieux au même titre que leurs collègues masculins. Évoluant dans des milieux où elles doivent se battre pour leur crédibilité, elles démontrent aussi généralement moins d’assurance au moment de postuler à des offres d’emploi et au moment d’affirmer les résultats de leurs recherches. Cela n’aide en rien à rendre les milieux scientifiques plus accueillants aux femmes.
Un autre enjeu lié à la représentation des femmes en science concerne non pas les scientifiques elles-mêmes, mais plutôt la participation des femmes aux essais cliniques – qui permettent d’évaluer l’innocuité et l’efficacité d’un médicament ou d’un mode d’intervention en santé – et à la recherche biomédicale. Là aussi, les participants masculins sont surreprésentés par rapport à leur poids démographique réel. Les résultats obtenus sont ensuite généralisés à l’ensemble de la population. Or, compte tenu des différences biologiques entre les hommes et les femmes, cela a un impact sur la sécurité et la santé des femmes : effets indésirables non détectés lors des essais cliniques; moindre efficacité d’un traitement à certains moments en raison, notamment, de variations du cycle hormonal des femmes; critères diagnostiques inappropriés pour les femmes; etc.
Par exemple, des chercheurs notaient dans un article de 2016 portant sur les facteurs de risque, les pathologies et les approches thérapeutiques liés au genre pour les maladies cardio-vasculaires, que « depuis des décennies, la recherche sur les maladies cardio-vasculaires s’est concentrée en premier lieu sur les hommes, menant ainsi à sous-évaluer les différences sexuelles dans les perspectives tant étiologique et diagnostique que thérapeutique. Tant que les femmes seront sous-représentées dans les essais cliniques, il nous manquera les données nécessaires pour prendre des décisions médicales précises et éclairées pour 51% de la population ».
En éthique de la recherche, le principe de non-malfaisance exige de mettre en œuvre les mesures nécessaires pour ne pas causer de tort indu à une personne. Dans le cas qui nous occupe, appliquer à la population féminine des connaissances qui ne sont démontrées que pour la population masculine apparaît problématique au regard de ce principe.
Il est intéressant de noter que les deux grands enjeux de représentation se rejoignent : là où des femmes sont impliquées dans la conception et la conduite de la recherche, on constate une meilleure inclusion de participantes et une meilleure prise en compte de facteurs liés au genre qui peuvent avoir un impact sur les résultats. En somme, l’inclusion des femmes à tous les niveaux de la recherche s’impose certes pour des raisons d’égalité, mais aussi pour des raisons d’intégrité et de rigueur scientifiques.
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