Dans son dernier budget, le gouvernement Trudeau a annoncé 35 millions sur quatre ans pour la création d'une Agence canadienne des médicaments. Cette agence s’inscrit dans le projet de mettre en place une assurance médicaments pancanadienne.
À l’heure actuelle, l’assurance médicaments au Canada est constituée d’une mosaïque complexe comprenant une centaine de régimes publics et plusieurs milliers de régimes privés. Il en résulte des variations de couverture et d’accès. De plus, les médicaments brevetés coûteraient en moyenne 20% de plus au Canada que dans les autres pays développés. Selon des observateurs, le prix croissant des médicaments menace la pérennité des régimes d’assurances. En centralisant l’évaluation et l’achat des médicaments, Ottawa espère réduire les coûts et améliorer l’accès.
Le gouvernement du Québec a réagi à cette annonce en réaffirmant que la santé est un champ de compétence provincial et en rappelant son droit de retrait avec compensation. Au-delà des querelles entre Québec et Ottawa, les choix en matière d’assurance médicaments soulèvent des enjeux d’efficience et d’équité. Les questions entourant le modèle à privilégier se posent autant à l’échelle du Québec qu’à celle du Canada.
La mise en place d’une agence centrale permettrait de créer un pôle d’achat qui donnerait un meilleur rapport de force dans les négociations de prix avec les fabricants. Actuellement, les négociations sont faites par l’Alliance pancanadienne pharmaceutique. L’Alliance ne réunit que les régimes publics qui couvrent environ 40% des achats au pays, alors que les régimes privés négocient de leur côté. La nouvelle agence négocierait au nom de tous les régimes, ce qui permettrait de réaliser des économies d’échelle de 1 à 4 milliards de dollars par année (selon les estimations). Ainsi, la création d’une agence canadienne améliorerait l’efficience des régimes (le rapport entre les coûts et les bénéfices) de manière à ce que les Canadiens en aient plus pour leur argent. La nouvelle structure favoriserait une utilisation responsable et efficiente des ressources collectives limitées puis améliorerait la pérennité des régimes.
Plusieurs études ont révélé une variation de l’offre de médicaments entre les provinces et à l’intérieur d’une même province. Ce phénomène, parfois appelé la « loterie du code postal » (postcode lottery), entraine une inégalité d’accès entre les citoyens en fonction des régions et des régimes. Or, la nouvelle Agence aurait aussi comme mandat de développer une liste unique de médicaments à offrir, ce qui permettra d’uniformiser la couverture à travers le pays et ainsi de favoriser l’égalité d’accès entre les citoyens.
La mise en place d’une assurance publique pancanadienne pourrait améliorer l’accessibilité financière des médicaments. D’une part, elle permettrait de couvrir les 7,5 millions de Canadiens hors Québec qui ne sont pas assurés. D’autre part, selon la structure choisie (gratuité, progressivité des primes, franchise, coassurance, etc.), elle pourrait améliorer le sort d’un million de Canadiens qui disent devoir couper dans leurs dépenses en épicerie ou en chauffage afin de pouvoir payer pour leurs médicaments. Au Québec, 10% des citoyens ne seraient pas en mesure de payer leurs médicaments, ce qui peut aggraver des problèmes de santé et entrainer des coûts additionnels pour le système de santé.
Le gouvernement fédéral n’a pas encore précisé la forme que prendra le futur régime : un modèle mixte à la québécoise où le régime public est un complément aux régimes privés, ou un modèle entièrement public et universel. Au Québec, les citoyens qui ont accès à une assurance privée offerte par leur employeur doivent y adhérer. Seuls ceux qui n’ont pas accès à de tels régimes peuvent bénéficier du régime public de la RAMQ. Ainsi, tous les citoyens sont couverts, mais ce modèle a aussi des inconvénients importants.
D’une part, le système mixte québécois coûte plus cher par habitants que les régimes publics et universels de pays comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas. D’autre part, il entraine des iniquités entre les citoyens. Premièrement, les coûts des assurances privées croissent à un point tel que certains syndicats et employeurs décident de mettre fin à leur assurance collective afin de pouvoir bénéficier du régime public. Les employés perdent alors du même coup leur assurance salaire, santé et dentaire. Deuxièmement, dans le modèle mixte, la multiplication des régimes entraine des variations dans les contributions financières demandées aux assurés (primes, franchises, coassurances, etc.). Troisièmement, les régimes privés couvrent une population plus profitable (population active sur le marché du travail) alors que le public hérite de profils plus chers à couvrir, soit les personnes sans emploi et les retraités qui sont de manière générale en moins bonne santé.
L’adoption d’un régime entièrement public et universel, au Québec ou à l’échelle du pays, présente de nombreux avantages pour les citoyens. C’est le modèle adopté par plusieurs pays, notamment l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, la Suède, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et les Pays-Bas. Cependant, un tel projet tarde à se réaliser. Un des obstacles est le lobby intensif d’acteurs puissants qui profitent du système actuel, soit les assureurs, l’industrie pharmaceutique et les pharmacies. Les gouvernements devront arbitrer entre ces différents intérêts.