Comme le souligne le Scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion, les municipalités sont les premières au front contre plusieurs grands défis mondiaux actuels, tels que la crise climatique et la résilience face aux problèmes de santé publique. En plus d’une transition écologique, les municipalités poursuivent, à des intensités différentes, une transition numérique, où des données variées sont collectées et analysées et interviennent davantage dans les processus de gestion et de décision.
On ne peut pas affronter ces défis à l’aveugle. Le Scientifique en chef en appelle donc au développement d’une meilleure culture scientifique dans les municipalités et une plus grande utilisation des connaissances scientifiques dans la prise de décision publique.
Dans son avis sur La ville intelligente au service du bien commun, la CEST recommandait que les municipalités mettent en place des programmes pour favoriser la compétence numérique des élus et que les municipalités accroissent leur expertise en analyse et en science des données ainsi que dans la communication et la diffusion compréhensible des données auprès des élus et des citoyens.
On estime généralement que le recours aux meilleures connaissances scientifiques disponibles (données probantes) permet aux décideurs d’élaborer des politiques publiques transparentes, justifiées et répondant davantage aux besoins des populations. Or, comme le démontre la présente pandémie liée à la COVID-19, la relation entre la science et la politique est complexe et pose de nombreux enjeux, entre autres, sur les plans épistémologiques et éthiques.
En somme, les villes sont appelées à devoir se positionner sur des enjeux éthiques qui ne sont pas liés à des contrats de construction ou à des appareils technologiques problématiques, mais qui sont plutôt soulevés par leur utilisation des connaissances scientifiques ou des résultats d’analyse de données.
Améliorer la prise de décision par l’utilisation de connaissances scientifiques : le cas des données probantes et ses zones grises
L’élaboration des politiques à partir des données probantes comporte plusieurs présupposés et zones grises pouvant rendre la tâche difficile aux décideurs publics. Le fait d’élaborer des politiques publiques à partir de données probantes n’écarte pas les jugements de valeur sur l’importance des différents champs et leurs méthodes de recherche, les niveaux de certitudes et d’incertitudes scientifiques, ni l’importance accordée à la participation citoyenne.
Il suffit de penser au fait que les connaissances scientifiques peuvent être limitées et incertaines, faisant en sorte que les décideurs publics et leurs conseillers se retrouvent en situation d’interpréter les niveaux de certitudes et d’incertitudes scientifiques. La réponse à savoir ce qui constitue une décision « responsable » dans différentes situations, face à différents corpus de connaissances et face à différents experts, n’est pas purement scientifique, mais implique une foule de facteurs que les décideurs publics doivent maintenant considérer. Enfin, l’élaboration des politiques à partir des données probantes fait face à l’enjeu de déterminer le rôle et le poids que doivent prendre les données probantes par rapport à d’autres valeurs démocratiques telles que la participation du public au sein du processus décisionnel.
Une expertise scientifique sensible en contexte de transformation numérique : la science des données
Il est nécessaire d’avoir une certaine expertise pour lire, analyser et comprendre les données – et surtout pour saisir tout ce qui se situe derrière leur traitement. La gestion par les données risque de donner encore plus de pouvoir à des experts non élus, soit ceux qui programment ou supervisent l’apprentissage des algorithmes, ainsi que ce qui détiennent l’expertise d’interpréter les données.
Il n’est pas nouveau que les élus dépendent au moins partiellement d’experts qui les éclairent sur les enjeux complexes de la société (ce qui soulève aussi ses enjeux, comme nous l’avons vu). Le risque plus propre au numérique est que les données peuvent revêtir une aura de vérité incontestable. Les données peuvent apparaitre comme « brutes » et objectives au décideur. Il est facile d’oublier qu’elles sont en réalité le résultat d’un processus complexe de collecte, de traitement et d’analyse exigeant le concours de multiples experts. Il y a deux principaux risques éthiques qui en découlent. Premièrement, cela peut entrainer une confiance démesurée à l’égard des données au détriment d’autres sources légitimes d’information pour la prise de décision. Deuxièmement, cela peut entrainer une mauvaise compréhension de ce que signifient réellement les données (ce qu’elles nous permettent réellement de conclure) et motiver des actions aux conséquences négatives qui auraient pu être prévues et évitées. La décision publique, même si elle doit s’appuyer sur des faits, ne se limite cependant pas à un exercice d’analyse de données quantifiées.
Le renforcement de la culture scientifique et de la littératie numérique au sein des municipalités devrait venir de pair avec une sensibilisation accrue à l’éthique et aux nuances importantes pour l’utilisation de connaissances scientifiques ou de résultats d’analyse de données. N’hésitez pas à interpeller les candidats municipaux avant de faire votre choix en vue du 7 novembre prochain!