Commission de l'éthique en science et en technologie

Hausse de la norme sur le nickel : Précaution, transparence et participation citoyenne

On apprenait le 30 mars dernier que le gouvernement du Québec, malgré l’opposition citoyenne, irait de l’avant avec un règlement prévoyant une hausse des normes de nickel dans l’air ambiant. Cette nouvelle norme soulève des enjeux éthiques relatifs notamment au principe de précaution, à la participation citoyenne ainsi qu’à la transparence des décideurs et des experts.

22 avril 2022 Sciences et politiques publiques, Santé, Environnement, Science ouverte et participative

Partager cette page

Le gouvernement du Québec annonçait, le 30 mars dernier, que la norme de nickel dans l’air ambiant serait quintuplée, passant de 14 à 70 nanogrammes par mètre cube (ng/m3) par jour, ainsi qu’à 20 ng/m3 en moyenne par année. Cette nouvelle norme, effective dès le 28 avril, se heurte à l’opposition de nombreux citoyens et citoyennes. Elle fait également écho aux inquiétudes de résidents du secteur Limoilou, aux prises depuis plusieurs années avec des controverses entourant la qualité de l’air de leur quartier. Passons en revue les faits saillants entourant cette décision et les principaux enjeux éthiques à considérer dans un tel contexte.

Faits saillants

Du côté du gouvernement du Québec, la décision de revoir à la hausse la norme sur le nickel se fonde sur les conclusions du Comité interministériel d'examen de la norme sur le nickel, lui-même s’appuyant principalement sur quatre rapports d’experts commandés par le gouvernement, produits en 2018 et restés confidentiels jusqu’au 31 mars dernier. Le Comité interministériel concluait en 2019 qu’il était sécuritaire de viser une norme annuelle de 20 ng/m3, tant pour les problèmes respiratoires critiques que pour les effets cancérigènes associés à une exposition répétée au nickel.

L’une des justifications centrales avancées par le Comité est d’ordre économique : on prévoit en effet une forte hausse du prix du nickel dans les années à venir, en raison notamment de la croissance du marché des batteries pour véhicules électriques. Une norme trop sévère pourrait donc, selon le Comité, décourager les investisseurs et les inciter à trouver une solution de rechange en Ontario ou à Terre-Neuve. Quant aux minières déjà installées au Québec, elles demandent depuis plusieurs années des assouplissements au gouvernement. Les compagnies Glencore Canada et Canadian Royalties prévoient d’ailleurs élargir leurs activités dans le Nord du Québec, de manière à doubler la capacité de production de nickel au Québec.

Le projet de règlement se heurte cependant à plusieurs oppositions. Des consultations publiques, menées entre décembre et février dernier, ont permis à des scientifiques, à des citoyens et à des groupes environnementaux d’exprimer leurs nombreuses inquiétudes. Les 18 directions régionales de santé publique de la province se sont d’ailleurs prononcées contre cette hausse dans le cadre de ces consultations. On évoque notamment, du côté des directions de santé publique, les multiples incertitudes liées au cumul des risques et à l’effet additif de plusieurs polluants dans l’air.

Ces enjeux sont particulièrement sensibles dans le quartier Limoilou, qui est aux prises depuis plusieurs années avec des enjeux relatifs à la qualité de l’air, en raison notamment de la présence d’activités portuaires et ferroviaires, d’une usine de pâtes et papiers et d’un incinérateur. Il est important de noter que les enjeux de qualité de l’air dans Limoilou ne se limitent pas à l’exposition au nickel, mais concernent plus généralement l’accumulation de multiples facteurs de risques qui participent au maintien d’inégalités en matière de santé dans ce secteur. Bien qu’un groupe de travail indépendant sur la qualité de l’air dans Limoilou prévoie remettre un rapport à ce sujet en décembre 2022, il existe encore beaucoup d’incertitudes entourant notamment l’effet combiné de différents métaux cancérigènes dans l’air.  

Enfin, notons que la ville de Québec s’est ralliée aux oppositions citoyennes, évoquant notamment la difficulté de mesurer adéquatement le taux de nickel dans l’air ambiant et de faire respecter les normes en question. Le conseil municipal s’est en effet prononcé de manière unanime contre la modification du règlement par le gouvernement.

Enjeux éthiques : Précaution, participation citoyenne et transparence

L’incertitude entourant l’accumulation de divers facteurs de risque dans les quartiers comme Limoilou devraient conduire les décideurs à agir avec précaution, surtout considérant les inégalités sociales et de santé qui touchent de tels secteurs. Le principe de précaution vise en effet à orienter l’action dans les situations pour lesquelles les risques ne sont pas entièrement connus, ou pour lesquelles les diverses conséquences sociales, environnementales ou économiques n’ont pas été suffisamment évaluées. Dans de telles situations, le principe de précaution implique notamment d’évaluer la balance entre les conséquences positives et les éventuelles conséquences négatives pouvant être associées aux actions ou aux inactions. Dans le cas qui nous occupe, le principe de précaution devrait conduire à investiguer davantage les problèmes de qualité de l’air dans les quartiers qui sont confrontés à des inégalités importantes en matière de santé, à orienter les recherches vers les zones d’incertitudes, et à considérer l’avis des citoyens les plus concernés par ces problèmes.

La décision de revoir à la hausse la norme soulève également des enjeux de participation citoyenne et d’acceptabilité sociale. En effet, les citoyens sont en droit de se prononcer sur leurs conditions de vie, et devraient pouvoir participer aux décisions qui concernent leurs milieux de vie, y compris celles informées par des experts. De plus, l’opinion de la société civile ne devrait pas être dévalorisée d’emblée au nom de la supériorité du point de vue des experts. Au-delà de cette légitimité des citoyens à se prononcer sur ces projets, ceux-ci peuvent aussi être porteur de certains savoirs contextuels qui échappent parfois aux scientifiques ou aux décideurs publics. Nous soulignions d’ailleurs, dans un éthique hebdo précédent, ce que la participation du public peut apporter en termes de compréhension d’enjeux sanitaires ou environnementaux. Dans ce contexte, les divergences de points de vue entre les experts et la société civile devraient être pris au sérieux, et être interprétés comme une invitation à investiguer les sources de désaccord et à effectuer davantage de recherche.

Enfin, les controverses présentées ci-haut mettent en lumière l’importance de renforcer la transparence lors de l’élaboration de politiques publiques. Les décideurs devraient préciser de façon claire et efficace le niveau d’incertitude avec lequel ils composent lorsque vient le temps de justifier l’adoption de politiques, de mesures ou de recommandations informées par la science ou par des experts. Dans le cas qui nous occupe, rendre publiques les études aurait permis non seulement de soumettre leurs conclusions à la critique et de faire avancer la délibération éthique, mais aussi de mieux faire comprendre les justifications réelles – notamment économiques – derrière la décision de revoir à la hausse la norme sur le nickel. De tels épisodes rappellent que la transparence est cruciale pour l’établissement d’une relation de confiance entre les décideurs, les experts et la société civile, et qu’elle constitue une condition essentielle à la participation citoyenne, à la coopération et à l’acceptabilité sociale des politiques publiques.

 

 

Si l’enregistrement des fichiers de témoins est activé sur votre navigateur, la visite de ce site placera un fichier de témoins sur votre ordinateur, ou un fichier de témoins sera lu si vous avez déjà visité ce site auparavant. Notre utilisation des fichiers de témoins vise uniquement à améliorer votre expérience comme utilisatrice ou utilisateur sur le site Web de la Commission.