Cette nouvelle législation interdit la commercialisation de tout bien dont l’obsolescence serait programmée et inflige des sanctions monétaires à tout commerçant qui s’en trouverait coupable. De plus, elle instaure une garantie de bon fonctionnement pour certaines catégories de biens et elle impose une nouvelle obligation aux commerçants et fabricants de fournir les pièces et renseignements nécessaires à la réparation de ces biens.
Toutefois, à la différence des précédents projets de loi (PL 197 et PL 195), la loi ne prévoit pas la mise en place d’un indice de durabilité ou de réparabilité. Bien qu’elle soulève des enjeux, comme en témoigne son implantation récente en contexte français, la mise en place d’un tel indice pourrait s’avérer pertinente au Québec.
Retour sur l’expérience de l’indice de réparabilité français
Le fonctionnement de l’indice de réparabilité français[1] est plutôt simple. Une note de 1 à 10, attribuée en ordre croissant, établit la réparabilité des objets compris au sein de neuf catégories d’AEE[2]. Cette note est déterminée selon cinq critères, soit 1) la démontabilité du produit; 2) la disponibilité des conseils à la réparation; 3) la disponibilité des pièces détachées (en termes de nombre d’années et de rapidité de livraison); 4) le prix des pièces détachées; et 5) des critères spécifiques à chaque produit[3]. Chaque vendeur de produits couverts par l’indice doit afficher leur pointage directement sur ceux-ci, sur leur emballage ou sur la fiche des produits s’ils sont vendus en ligne.
Plusieurs enjeux ont contribué à une certaine remise en question de l'efficacité de l’indice français. Tout d’abord, ce sont les fabricants qui déterminent la note décernée à leurs produits, ce qui peut se traduire par des notes gonflées. Ensuite, l’accessibilité de l’indice est extrêmement variable, particulièrement en ligne, où il est souvent difficile à trouver ou simplement absent. Au-delà de son impartialité et de son accessibilité, l’importance de certains critères semble avoir été sous-estimée dans leur pondération au sein de l’indice. Notamment, la disponibilité des pièces et le prix de celles-ci sont pondérés de la même manière que les autres critères, alors que l’indisponibilité des pièces ou leur prix prohibitif peuvent rendre impossible toute tentative de réparation.
Dans le cadre de l’élaboration d’un indice de durabilité au Québec, il serait primordial de dépasser ces limites afin de développer un indice plus impartial et transparent, encourageant l’autonomie des consommateurs et consommatrices tout en renforçant la responsabilité environnementale des entreprises.
La pertinence d’un indice québécois
Malgré bien des écueils possibles, la mise en place d’un indice de durabilité pourrait représenter une avancée importante, tant sur le plan des valeurs que la Loi cherche à promouvoir que sur celui de la prise en compte du contexte dans lequel cette dernière s’inscrit. Concernant les valeurs, soulevons qu’il s’agit malgré tout d’un moyen efficace de responsabiliser les entreprises, qui seront incitées à se démarquer par la production de biens plus durables et réparables. Plus encore, l’indice de durabilité semble favoriser l’autonomie dans la prise de décisions éclairées vis-à-vis les choix de consommation et de réparation.
Comme l’un des plus grands freins à la réparation des AEE qui sont rapportés par les citoyens et citoyennes est la perception d’irréparabilité de ceux-ci, cette mesure permettrait véritablement de différencier les appareils qui sont réparables de ceux qui ne le sont pas. Plus généralement, cela fournirait un critère standardisé et impartial, qui permettrait de simplifier un choix qui se voit compliqué par la vastitude de l’offre et des spécificités des produits en question. Un sondage a d’ailleurs révélé que les trois quarts des Français avaient trouvé l’indice utile dans leurs achats. Au Québec, selon des données de 2021, 72 % des citoyens et citoyennes appuient « la mise en place d’un logo/label unique pour identifier les produits les plus durables ou réparables ».
C’est en raison de ce potentiel que des intervenants comme Équiterre recommandent la mise en place d’un indice de durabilité au Québec, qui inclurait réparabilité, fiabilité et amélioration continue (notamment pour ce qui est des mises à jour générales et de sécurité), comme le fera la France dès 2024. Ce genre d’indice est généralement perçu par les individus comme davantage pertinent qu’un simple indice de réparabilité, en plus de permettre de rendre compte de cas où réparabilité et fiabilité seraient en contradiction. Afin d’en garantir l’impartialité et la transparence, l’organisme recommande que l’indice soit « développé par le Bureau de normalisation du Québec et le procédé d’évaluation de la durabilité des biens, rendu public ». Afin de soutenir davantage ces valeurs, il serait pertinent que les évaluations des produits soient également menées par un organisme indépendant.
En somme, la mise en place d’un indice de durabilité s’inspirant des succès et des enjeux de l’indice français serait susceptible d’encourager des comportements vertueux à la fois dans la consommation et la production, comportements qui, à terme, permettraient de réduire les coûts financiers et environnementaux associés à l’obsolescence des AEE.
[1] À compter du 1er janvier 2024, l’indice de durabilité sera intégré à l’indice de réparabilité dans tout le territoire français.
[2] Celles-ci sont : téléphone intelligent, ordinateur portable, téléviseur, laveuse à hublot, laveuse à chargement vertical, lave-vaisselle, aspirateur filaire, sans fil et robot, nettoyeur haute pression et tondeuse à gazon électrique.
[3] Par exemple, pour la catégorie des téléphones intelligents, ces critères spécifiques concernent l’information sur la nature des mises à jour, l’assistance à distance sans frais et la possibilité de réinitialisation logicielle.