Commission de l'éthique en science et en technologie

Les organoïdes sont de petites entités biologiques tridimensionnelles reproduisant la structure cellulaire et certaines fonctions d’un organe (ex. contraction, activité neuronale, sécrétion endocrinienne). Ils sont créés en laboratoire à partir de cellules souches ou de tissus fœtaux qui se différencient, se spécialisent et s’auto-organisent pour former des modèles miniatures et simplifiés de foie, de cerveau, d’intestin, de pancréas, de rein, etc. Cependant, leur développement est limité par l’absence de vascularisation -c’est-à-dire l’absence de vaisseaux sanguins pouvant alimenter l’organoïde en oxygène et en nutriments- de sorte que leur dimension ne dépasse pas quelques millimètres.

Dans le présent billet, nous nous intéressons aux organoïdes cérébraux humains (OCH). Les OCH peuvent atteindre le niveau de développement du cerveau d’un fœtus d’environ six mois et manifester de l’activité électrique. Les chercheurs peuvent modéliser une région spécifique du cerveau (ex. cervelet, hypothalamus, cortex cérébral) ou laisser l’organoïde se différencier en différentes régions.

Bien que les organoïdes cérébraux ont des applications potentielles en informatique (en tant que matériau), nous nous focalisons dans ce qui suit sur leurs applications biomédicales.

[Image] Organoids Cérébraux (Shutterstock 1345570025) 1

À quoi peuvent servir les organoïdes cérébraux?

Les organoïdes ont des applications en recherche et en clinique. Ils permettent de faire des études qui seraient impossibles avec des embryons humains pour des raisons éthiques. En effet, alors qu’il est actuellement interdit au Canada de faire de la recherche sur des embryons humains au-delà de 14 jours de maturation, les OCH peuvent modéliser des cerveaux de fœtus de six mois. Cela permet notamment d’étudier le développement du cerveau à des stades plus avancés.

Ces organoïdes permettent aussi de faire de la recherche sur des maladies du cerveau (pathologie). Cela permet de mieux comprendre la maladie et d’identifier des cibles thérapeutiques. Par exemple, on peut créer des OCH à partir de cellules souches de patients pour modéliser des maladies comme une tumeur cancéreuse (glioblastome), la maladie de Parkinson ou encore la sclérose en plaques.

Les OCH peuvent également être utiles en recherche préclinique. En effet, les OCH créés à partir de patients atteints d’une maladie peuvent servir à identifier et à tester des thérapies potentielles.

Enfin, en clinique, les OCH ont le potentiel de soutenir la réparation des tissus du cerveau (médecine régénérative) endommagés par des maladies comme l'amyotrophie spinale. En effet, des résultats préliminaires indiquent que la transplantation d’OCH serait plus efficace que l’implantation de cellules souches neuronales pour soutenir la régénération.

Quels sont les enjeux éthiques liés au recours aux organoïdes cérébraux?

Comme décrit plus haut, les OCH ont le potentiel d’apporter des bénéfices de santé importants (bienfaisance). Ils pourraient permettre de contourner l’interdiction de faire de la recherche sur les embryons humains de plus de 14 jours. Ils pourraient aussi aider à surmonter certaines des limites associées à la recherche sur des modèles animaux. En effet, ces derniers ne sont pas toujours représentatifs du fonctionnement du cerveau humain de sorte qu’il arrive que les résultats de recherche ne soient pas valides chez l’humain.

Des éthiciens accueillent favorablement le recours aux OCH (et aux organoïdes en général) puisqu’ils pourraient un jour réduire, voire remplacer, l’utilisation d’animaux comme sujets de recherche. En effet, le recours aux animaux en recherche inflige souvent à ces derniers des souffrances qui pourraient être ainsi réduites ou évitées (non-malfaisance). Cependant, il reste encore à établir si les OCH sont suffisamment représentatifs du cerveau humain de plus de six mois de développement fœtal pour que les résultats de recherche soient valables pour ces derniers.

Les OCH peuvent être transplantés dans des animaux non humains (xénotransplantation). Nous avons traité plus haut des limites au développement des OCH dues notamment à l’absence de vascularisation. Afin de pallier ce problème, des chercheurs ont implanté des OCH dans des cerveaux de rats nouveau-nés vivants. Profitant ainsi de vascularisation et de stimuli externes, ces OCH ont pu alors se développer davantage, établir des connexions avec le cerveau des rats et même influencer le comportement de ceux-ci.

Si ces expérimentations peuvent être troublantes pour certaines personnes, le développement et l’intégration des OCH avec les cerveaux de rongeurs restent très limités. La transplantation d’OCH dans des organismes plus près de l’humain pourrait donner des résultats beaucoup plus éthiquement problématiques. Par exemple, la transplantation dans de grands singes comme le chimpanzé pourrait augmenter significativement la possibilité que les OCH se développent, croissent et s’intègrent avec le cerveau de l’hôte. Dans ces circonstances, des experts s’inquiètent que les tissus neuronaux humains prennent suffisamment de place physiquement et fonctionnellement (cognition, émotions) pour produire de nouveaux organismes hybrides. Les formes que pourraient prendre ces organismes mi-singe, mi-humain, sont largement imprévisibles et leur statut moral sera difficile à déterminer.    

Enfin, des éthiciens s’inquiètent qu’on puisse un jour créer des OCH suffisamment complexes pour acquérir des propriétés comme la sentience (capacité d’éprouver consciemment des états affectifs positifs et négatifs), ou encore la conscience (capacité de vivre des expériences subjectives du monde et de son corps, de vivre une variété d'états mentaux, de posséder un sens de soi). Des chercheurs ont observé des réactions à des stimuli lumineux dans des OCH comprenant des cellules rétiniennes. À l’heure actuelle, on peut déjà produire des entités plus complexes en assemblant des OCH avec d’autres types d’organoïdes ou tissus. Il n’y a pas actuellement de consensus sur la question de savoir si des assemblages complexes d’organoïdes pourront un jour acquérir des formes de sentience ou de conscience. Ce débat est, de surcroît, complexifié par le fait qu’il n’y a pas de consensus sur le sens précis de ces deux derniers concepts. Quoiqu’il en soit, s’ils existent un jour, ce sera vraisemblablement dans un avenir encore lointain.

Les OCH ont le potentiel d’apporter des progrès importants en recherche sur le développement du cerveau et sur les maladies touchant le cerveau. Ils pourraient permettre d’identifier des cibles thérapeutiques et tester des médicaments. Ces recherches pourraient être réalisées sans recourir à des embryons humains de plus de 14 jours et en réduisant l’utilisation de modèles animaux. Cependant, la création éventuelle d’organismes hybrides partiellement humains ou encore d’organoïdes complexes sentients soulève des enjeux éthiques considérables.

Date de mise en ligne : 18 avril 2024

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