La controverse entourant les OGM ainsi que l’étiquetage obligatoire n’est pas nouvelle. Les OGM sont des organismes vivants dont le patrimoine génétique a été modifié de façon à favoriser ou défavoriser certaines caractéristiques en fonction de leur désirabilité. Ces organismes modifiés principalement par transgenèse, c’est-à-dire par des techniques permettant d’ajouter ou de modifier un ou plusieurs gènes au génome d’un être vivant, ont fait controverse dès leur commercialisation dans les années 1990. Ils sont maintenant principalement représentés dans les cultures de soja, de coton, de canola et de maïs, majoritairement modifiées pour être résistantes à certains herbicides tel que le glyphosate.
Dès 2003, la CEST publiait un avis sur la question recommandant, entre autres, l’étiquetage obligatoire de tout produit issu de la transgenèse. Cette obligation entrait en vigueur la même année en Europe, alors que le Canada et les États-Unis considéraient plutôt ces produits comme des équivalents à leurs homologues non-modifiés.
La question de l’étiquetage des OGM soulève des enjeux éthiques importants, relatifs à leur impact sur la santé et l’environnement, à l’application du principe de précaution ainsi qu’à l’autonomie et à la liberté de choix des consommatrices et des consommateurs dans un contexte démocratique.
Innocuité et bénéfices
Les principales préoccupations quant aux risques que pourraient poser les OGM concernent leurs impacts potentiels sur la santé humaine. En effet, la nouveauté de la commercialisation d’aliments génétiquement modifiés dans les années 1990 et au début des années 2000 laissait planer les spéculations quant à leurs possibles effets toxiques. Toutefois, au cours des dernières décennies, peu de risques pour la santé ont été avérés et de nombreuses études sont citées comme apportant des preuves que les aliments et cultures génétiquement modifiés étaient sécuritaires. En réponse à ces résultats encourageants, certains affirment que, si la recherche montre que les OGM sont sécuritaires et équivalents à leurs homologues non-modifiés, il n’y aurait alors pas de raisons de les distinguer de ces derniers en les étiquetant.
Par ailleurs, les OGM peuvent également avoir des bénéfices. En effet, ils augmentent la productivité et réduisent les coûts de production notamment via la résistance aux insectes, aux maladies, ainsi qu’aux autres sources de stress environnemental. On espère ainsi qu’ils contribuent à résoudre les problèmes anticipés de sécurité alimentaire en nourrissant une population mondiale que les projections estiment pouvoir atteindre les 10 milliards en 2050. Certaines voix défendent toutefois le contraire, notamment en raison de l’impact de ces cultures intensives sur les changements climatiques et la biodiversité.
Des inquiétudes importantes subsistent également chez les consommatrices et les consommateurs, qui continuent à entretenir une méfiance envers les OGM. Plusieurs études avancent que la mauvaise réputation persistante des OGM pourrait être due à des normes culturelles, à des biais psychologiques ou au manque de connaissances scientifiques. Dans ce contexte, l’étiquetage pourrait entraîner une « stigmatisation » des aliments génétiquement modifiés, encourageant encore davantage les consommateurs à les éviter et empêchant ainsi la société de profiter de leurs bénéfices.
Incertitudes et principe de précaution
Les inquiétudes entourant les risques que pourraient poser les OGM pour la santé humaine ne sont toutefois pas sans fondements. En effet, bien qu’aucun lien entre les OGM et des effets néfastes pour la santé n’ait été démontré, il n’existe pas de consensus scientifique sur la sécurité de la consommation des OGM, et leurs effets à long terme sont encore peu connus. Une déclaration commune signée par plus de 300 chercheurs indépendants soutient ainsi qu’il n’existe toujours pas d’études épidémiologiques sur la consommation humaine d’OGM et que la recherche effectuée jusqu’ici a été majoritairement produite par les compagnies qui commercialisent les produits étudiés. De plus, la déclaration souligne que la recherche indépendante est entravée par le fait qu’on refuse aux chercheurs l’accès à un matériel de recherche placé sous la protection de brevets. Pour y avoir accès, on demanderait aux chercheurs de signer des ententes contractuelles avec les compagnies commercialisant ces produits, ce qui serait susceptible d’influencer les résultats de recherche. Or, les potentiels effets indésirables entraînés par les OGM pourraient comprendre « mortalité, tumeurs ou cancers, baisse significative de la fertilité, diminution des capacités d'apprentissage et de réaction, et certaines anomalies des organes » que certaines études ont identifié chez des animaux ayant consommé des OGM.
La déclaration mentionne également l’absence de consensus sur les impacts environnementaux, notamment quant aux effets que des épandages d’herbicides et de pesticides, plus fréquents sur des cultures modifiées pour leur résister, peuvent avoir sur la qualité de l’air et de l’eau. La biodiversité est également touchée à travers la contamination des cultures non-modifiées des champs avoisinants, ce qui nuit ensuite aux petits producteurs et à la production de cultures plus traditionnelles et biologiques.
Par ailleurs, comme le soulignait la CEST dans son document de réflexion sur l’utilisation de la science par les décideurs publics, il convient de prendre au sérieux les préoccupations et expériences citoyennes, et d’éviter de considérer que les oppositions aux avancées technoscientifiques se résorberaient d’elles-mêmes si les opposants en question étaient davantage éduqués à la culture scientifique. En effet, la société civile, loin d’être seulement un public à éduquer, peut également prendre part aux délibérations des experts et aider à l’identification de risques ou de pistes de recherche à explorer, ce qui est particulièrement pertinent en contexte d’incertitude.
Considérant ces incertitudes qui subsistent, le principe de précaution semble ici applicable. En effet, le principe de précaution est une approche de gestion des risques qui s’applique en situation d’incertitude, c’est-à-dire lorsque les diverses conséquences sociales, environnementales ou économiques d’un projet ou d’un produit n’ont pas été suffisamment évaluées. Il stipule que, en l'absence de preuves scientifiques claires, des mesures préventives devraient être prises pour éviter des dommages, même si ces derniers ne sont pas encore totalement confirmés. Dans le cas qui nous occupe, il serait donc justifié de distinguer les OGM des aliments non modifiés par un étiquetage, même en l’absence de certitudes scientifiques quant à leurs effets néfastes.
Autonomie et liberté de choix
En plus des questions de santé et d’environnement, il existe de nombreux autres motifs pour lesquels on pourrait souhaiter ne pas consommer d’OGM. Ceux-ci peuvent relever du choix personnel et ils n’en méritent pas moins le respect. Il existe ainsi des questionnements philosophiques sur l’abus de pouvoir de l’homme sur la nature ou sur la légitimité de l’instrumentalisation du vivant. Certaines traditions religieuses, notamment bouddhiste ou autochtone, ont une vision holistique de la nature où l’être humain ne tient pas de place privilégiée. Dans le cadre de ce type de perspectives, la manipulation du vivant peut être jugée irresponsable et relever de l’abus. L’étiquetage obligatoire permettrait aux citoyens d’aligner de manière autonome leurs préférences diététiques sur leurs valeurs, que celles-ci relèvent de la religion, de principes philosophiques ou de préoccupations environnementales ou morales. L’étiquetage obligatoire permettrait également aux consommateurs d’exercer une certaine vigilance quant aux transferts de gènes d’une espèce à une autre, que ce soit pour le respect d’interdits alimentaires religieux ou par mesure de précaution pour les allergies graves.
Le respect de la liberté des citoyennes et des citoyens de faire un choix aligné sur leurs valeurs constitue une pièce maîtresse du vivre-ensemble dans une société démocratique et pluraliste. L’application d’un principe de transparence correspondant à nos valeurs démocratiques permet ainsi de respecter le droit des consommateurs à exercer un choix informé. Une information claire, juste, précise et objective, rendue obligatoire par une exigence d’étiquetage, permet à la fois aux citoyennes et citoyens de mieux exercer leur autonomie et à l’État de maintenir la confiance du public envers les politiques de régulation et l’industrie alimentaire.
La population canadienne supporte massivement l’étiquetage des OGM et la tendance est encore plus forte au Québec. Pourtant, il est loin d’être certain qu’une telle législation nuirait à la vente d’aliments génétiquement modifiés. D’autres priorités influencent les choix de consommation, notamment le prix. Certains soutiennent même que l’étiquetage obligatoire pourrait améliorer l’attitude envers les OGM en réduisant la confusion ou réduire l’opposition envers eux en raison du constat de leur prix plus bas et d’une perception de meilleure qualité. L’étiquetage obligatoire pourrait donc avoir peu d’effets négatifs sur l’industrie tout en ayant de nombreux effets positifs sur le climat de confiance et le vivre-ensemble.
Le respect du choix de chacun dans un contexte incertain
Considérant que la possibilité d’effets néfastes pour la santé, l’environnement ou la société demeure bien réelle, mais aussi que d’autres motivations peuvent jouer un rôle dans le choix de ne pas consommer d’OGM, il paraît raisonnable et en accord avec nos valeurs démocratiques de fournir aux consommatrices et consommateurs les outils leur permettant d’effectuer leurs propres choix de manière autonome et éclairée. Une meilleure transparence de la provenance des produits ainsi que de la recherche pourrait permettre à la société de bénéficier des contributions bien réelles que peuvent apporter les OGM au bien commun tout en maintenant le climat de confiance nécessaire au vivre-ensemble d’une société démocratique.

