Comme les gamètes artificiels et les organoïdes, les embryoïdes sont des entités biologiques créées en laboratoire à partir de cellules souches. Ces dernières sont des cellules indifférenciées qui ont la capacité de se transformer en n’importe quel type de cellule. Placées dans un milieu de culture et exposées à un ensemble de molécules spécifiques, les cellules souches peuvent être guidées afin de devenir des cellules embryonnaires puis s’auto-organiser en structures similaires à des embryons naturels.
Les embryoïdes –aussi appelés embryons artificiels ou encore modèles embryonnaires– peuvent être conçus pour imiter un stade de développement spécifique ou plusieurs stades. Ils peuvent être plus ou moins complets, c’est-à-dire contenir toutes les parties d’un embryon naturel (modèles intégrés) ou en manquer certaines (modèles non intégrés).
Les embryoïdes constituent un champ de recherche en pleine ébullition. Des laboratoires à travers le monde tentent de créer des modèles de plus en plus semblables aux embryons naturels ou imitant le mieux certains aspects de ceux-ci.
Connaissances scientifiques et bénéfices pour la santé humaine
Les embryoïdes peuvent servir de modèles d’embryons pour la recherche. Ils ont le potentiel de favoriser la production de connaissances scientifiques et d’apporter des bénéfices pour la santé humaine : mieux comprendre le développement humain normal ou pathologique (ex. maladies génétiques, fausses couches); mettre au point des traitements contre des anomalies dans le développement embryonnaire puis en tester l’innocuité et l’efficacité; améliorer les techniques de procréation assistée; etc.
Sur le plan scientifique, il faut tout d’abord s’assurer que les embryoïdes utilisés sont des modèles suffisamment fidèles pour que les connaissances obtenues grâce à eux soient généralisables aux embryons naturels, c’est-à-dire valides en contexte non expérimental.
Les recherches qu’ils permettraient de faire ont une grande pertinence scientifique et clinique. En effet, il existe à l’heure actuelle des lacunes importantes dans les connaissances au sujet des embryons, surtout entre le 15e et le 30e jour de développement. Ces lacunes sont notamment causées par l’interdiction de faire de la recherche sur les embryons humains au-delà de 14 jours (pour les raisons derrière la règle de 14 jours, voir cet Éthique Hebdo). Les embryoïdes pourraient permettre de faire de la recherche au-delà de cette limite, mais pour cela ils ne doivent pas être considérés comme des embryons.
Les embryoïdes sont-ils des embryons selon la loi?
Sur le plan juridique, la question de savoir si les embryoïdes sont considérés comme des embryons dépend de la définition d’un embryon dans la loi. Par exemple, dans certains pays (ex. Royaume-Uni, Espagne), la loi définit l’embryon comme résultant d’une fécondation. Or, les embryoïdes ne sont pas créés par fécondation et, par conséquent, ils ne sont pas concernés par la loi. Cependant, au Canada, la Loi sur la procréation assistée définit un embryon comme un « organisme humain jusqu’au cinquante-sixième jour de développement suivant la fécondation ou la création » (nous soulignons). Puisque la loi renvoie non seulement à la fécondation, mais aussi à une autre option qui est la création, la loi canadienne s’applique aux embryoïdes. Ainsi, il serait interdit de les cultiver au-delà de 14 jours (ou au stade équivalent à celui d’un embryon naturel de 14 jours).
Quel est le statut moral des embryoïdes?
Sur le plan éthique, la question est de savoir quelles sont les caractéristiques que devraient posséder les embryoïdes pour se voir attribuer un statut moral semblable aux embryons (pour plus de détails sur le statut moral des embryons, voir cet Éthique Hebdo). Avoir un statut moral, c'est avoir intrinsèquement une valeur qui compte moralement et qui entraine des devoirs moraux envers soi (ex. le fait d’être une personne confère un statut moral, mais pas le fait d’être une chose).
Une des caractéristiques auxquelles on réfère souvent est le potentiel de devenir ou non un être humain. On dit alors qu’un embryon est viable ou non viable. Les embryons naturels non viables se voient généralement accorder un statut moral moindre. Appliquant ce critère aux embryons artificiels afin de réduire les risques éthiques, certains chercheurs créent volontairement des embryoïdes non viables (ex. sans cerveau, sans cœur).
Cependant, les embryoïdes incomplets et non viables ne sont pas toujours sans risques éthiques. Par exemple, certains d’entre eux comprennent des structures précurseurs des neurones et du système nerveux central. Ces cas soulèvent des questions quant à l’émergence possible d’une certaine forme de sentience, notamment la capacité à ressentir de la douleur. Chez les embryons naturels, le stade d’apparition du ressenti de la douleur est difficile à déterminer, mais les estimations le situent à environ 24 semaines.
Alors que des chercheurs veulent éviter au maximum les risques éthiques en mettant au point des embryoïdes volontairement non viables, incomplets et sans potentiel de sentience, d’autres tentent plutôt de créer des embryoïdes complets le plus près possible des embryons naturels. Les embryoïdes complets actuels ne sont pas viables, mais il est fort possible qu’ils le deviennent un jour. Dans cette éventualité, ils devront vraisemblablement être considérés et traités comme des embryons humains naturels, donc soumis aux mêmes protections en tant que sujet de recherche.
Entre cellules et embryons : un encadrement intermédiaire
Le potentiel des embryoïdes en termes de connaissances scientifiques et de bénéfices pour la santé humaine est très grand. Cependant, compte tenu de sa définition de ce qu’est un embryon, la loi canadienne limite significativement le recours aux embryoïdes. Or, selon les lignes directrices de la Société internationale de recherche sur les cellules souches (ISSCR, 2021), l’avis de l’Agence de la biomédecine (France) et l’avis du Nuffield Council on Bioethics (Royaume-Uni), les cadres normatifs s’appliquant aux embryons humains sont trop stricts et rigides pour la recherche avec les embryons artificiels dans l’état actuel de la science. Cependant, bien qu’actuellement non viables, les embryoïdes humains qui tendent à être complets (modèles intégrés) mériteraient un encadrement plus strict et contraignant que celui qui s’applique à la recherche avec de simples lignées cellulaires.
À cet égard, un certain consensus se dégage sur quelques points. Par exemple, compte tenu du grand potentiel de la recherche avec des embryoïdes et du faible risque éthique qu’ils représentent dans l’état actuel de la science, l’application de la limite de 14 jours aux embryoïdes serait excessive (principe de proportionnalité) (dans l’avis cité plus haut, l’Agence de la biomédecine recommande 28 jours). Toutefois, il y a des applications qui devraient être catégoriquement prohibées, notamment toute exploration de la faisabilité d’une gestation (en laboratoire ou par transfert dans l’utérus d’un être humain ou d’un animal) ou tout développement jusqu’à un stade où les modèles pourraient ressentir de la douleur.
Pour ce qui est du Canada, le recours aux modèles d’embryons pour la recherche nécessiterait une mise à jour de la Loi sur la procréation assistée. Il ne s’agit pas du seul changement à cette loi souhaité par les chercheurs. Plusieurs en appellent à une réforme, notamment afin de permettre la modification génétique des cellules germinales et des embryons dans le contexte de la recherche scientifique. Cependant, compte tenu des nombreux enjeux éthiques qu’elle soulèverait, une telle révision serait extrêmement complexe et impliquerait de grands débats de société.
Est-il temps de revoir la Loi sur la procréation assistée au Canada?