La gamétogenèse in vitro (GIV) consiste à créer, en laboratoire, des cellules reproductrices mâles ou femelles (ovules et spermatozoïdes, aussi appelés gamètes) à partir de cellules du corps d’un organisme (cellules somatiques). Il s’agit d’abord de « reprogrammer » (induire) des cellules somatiques (ex. cellules composant la peau, les muscles) en cellules souches. Ces cellules souches induites sont pluripotentes, c’est-à-dire qu’elles ont le potentiel de se spécialiser en n'importe quelle cellule du corps. Celles-ci sont ensuite converties en gamètes mâles ou femelles.
La procédure a été réalisée avec succès chez la souris. Les gamètes produits ont été employés pour concevoir des embryons puis des bébés souris qui semblaient sains. L’application de la GIV chez l’humain est actuellement en développement. Bien que la technique ait des applications potentielles en recherche, nous nous focaliserons dans le présent billet sur les applications cliniques.
Les bénéfices
En clinique, la GIV permettrait, à des personnes ne pouvant normalement le faire, de concevoir des enfants génétiquement liés aux parents. Elle pourrait profiter aux personnes ayant des problèmes de fertilité, aux personnes seules, aux femmes ayant dépassé l’âge de la procréation, aux couples du même sexe, aux personnes transgenres, etc. À l’heure actuelle, ces personnes doivent avoir recours au don de gamètes, à des mères porteuses ou à l’adoption. La GIV pourrait aussi permettre aux femmes ayant recours à la fécondation in vitro d’éviter les inconvénients et les risques associés à la stimulation ovarienne et au prélèvement d’ovules.
Les enjeux
Outre la question toujours ouverte de savoir s’il sera un jour possible de réaliser la GIV de manière efficace et sécuritaire, les applications cliniques chez l’humain soulèvent de nombreux enjeux éthiques et sociaux.
D’abord, un débat public sur les implications d’avoir des enfants à un âge avancé et très avancé serait souhaitable. Par exemple, alors que certains experts croient que la GIV favoriserait l’autonomie reproductive des femmes en leur permettant de se consacrer davantage à leurs études et leur carrière, d’autres estiment au contraire qu’elle permettrait aux employeurs de mettre davantage de pression sur elles pour qu’elles reportent leur projet familial et dispenserait les décideurs de mettre en place des politiques publiques permettant aux personnes d’avoir des enfants plus tôt dans leur vie si elles le souhaitent. Ce débat devra aussi porter sur l’intérêt de l’enfant, notamment lorsqu’il s’agit d’avoir des enfants à un âge très avancé.
Dans le cas des personnes seules, puisque les deux gamètes proviendraient de la même personne, on peut se demander s’il est éthiquement acceptable d’exposer l’enfant aux risques génétiques potentiels associés à la consanguinité.
Un autre enjeu concerne l’autonomie des personnes dont sont issues les cellules somatiques qui seront converties en gamètes. Des observateurs ont tôt pris conscience du fait que l’acquisition de gamètes de personnes sans leur consentement serait grandement facilitée par la GIV. En effet, il suffirait, en principe, d’avoir en sa possession des traces de matériel biologique d’une personne pour concevoir un enfant avec son bagage génétique. L’utilisation des gamètes d’une personne est encadrée par la loi et nécessite son consentement (Loi canadienne sur la procréation assistée), mais il existe déjà des violations à cette règle (ex. insémination avec du sperme subtilisé) et la GIV pourrait faciliter ces violations.
Le recours à la GIV dans le cadre du diagnostic préimplantatoire (DPI) pourrait aussi avoir des applications médicales et non médicales. Le DPI consiste à produire des embryons in vitro puis à les tester génétiquement afin de sélectionner ceux qui seront transférés dans l’utérus de la mère. La technique est présentement utilisée afin de permettre à des personnes porteuses d’anomalies génétiques d’avoir des enfants sains en sélectionnant les embryons exempts d’anomalies. À l’heure actuelle, le nombre d’embryons conçus in vitro est limité, notamment à cause des risques associés à la stimulation ovarienne et le prélèvement d’ovules. Cependant, la GIV permettrait de contourner ces risques et de produire une très grande quantité d’embryons parmi lesquels choisir.
Or, cela soulève au moins deux enjeux. D’une part, que ferait-on avec les embryons excédentaires? Les détruire? Les récupérer pour la recherche (ce qui implique aussi leur destruction)? Les donner à d’autres personnes ayant des difficultés à procréer? La création d’embryons excédentaires et les options possibles quant à leur sort dépendent du statut moral qu’on leur accorde : méritent-ils d’être protégés de la destruction? Sont-ils des personnes humaines? Si oui, à partir de quel stade de développement? Actuellement au Canada, il est interdit de créer des embryons à des fins de recherche, mais la recherche est permise jusqu’à 14 jours de maturation sur les embryons surnuméraires créés à des fins de procréation. La création d’un grand nombre d’embryons dans le cadre de services de procréation assistée via la GIV permettrait de violer l’esprit de la loi.
D’autre part, l’accroissement du nombre d’embryons produits parmi lesquels choisir facilitera le recours au DPI pour sélectionner des caractéristiques non médicales (ex. esthétiques) en fonction des préférences des parents et de normes sociales (bébés à la carte) ou encore à des fins d’augmentation des capacités humaines au-delà de ce qui est nécessaire pour être en santé, voire au-delà des limites actuelles du corps humain.
Une autre question à aborder est celle de savoir si les services de procréation assistée devraient être offerts par le système de santé publique. Notons d’entrée de jeu qu’aucune disposition législative au Québec ne prévoie un « droit à l’enfant » qui contraindrait l’État à soutenir les citoyens dans la réalisation de ce droit. Cependant, l’État a le devoir de fournir aux citoyens des soins répondant à un besoin médical. Il s’agit donc de déterminer si certains services de fertilité répondent à un besoin médical et si oui, lesquels. Dans les cas d’infertilité à l’âge de la procréation, les avis sont partagés. En effet, certains considèrent que l’infertilité est une indication médicale, d’autres non.
Dans les autres cas, c’est plus clair puisque le célibat, le vieillissement et l’homosexualité ne sont pas en soi des problèmes de santé. Dans ces derniers cas, l’État peut néanmoins décider de couvrir des traitements de procréation assistée s’il le souhaite. Par exemple, depuis 2021 et sous certaines conditions, Québec couvre des services d’insémination artificielle et de fécondation in vitro non seulement pour les couples hétérosexuels, mais aussi pour les couples femme-femme et pour les femmes seules.
De manière générale, même lorsque des soins répondent clairement à un besoin médical (ex. traitement contre le cancer), l’État peut refuser de les couvrir lorsqu’ils apportent peu de bénéfices par rapport à leur coût (efficience), lorsque l’impact de cette couverture sur le budget de santé est trop important, qu’il existe déjà des traitements efficaces pour la même indication médicale, etc. En effet, comme les ressources sont limitées et que les demandes en matière de soins sont énormes, une priorisation est nécessaire dans tous les pays du monde. Ainsi, si l’État envisage un jour de couvrir la GIV, une évaluation de l’efficacité, de l’efficience et de l’impact budgétaire de cette technologie devra être réalisée.
Enfin, sur le plan social, des experts croient que le recours à la GIV aura fort probablement un effet sur les représentations entourant la diversité des formes familiales. En effet, des chercheurs estiment qu’en répondant au désir d’enfant génétiquement lié, la médecine et l’industrie de la reproduction renforcent des normes et des valeurs culturelles qui contribuent à accorder plus de valeur aux familles génétiques qu’aux autres modèles familiaux et formes de parentalité (ex. don de gamète, adoption). Dans ce contexte, il est important de s’assurer que le cadre législatif et les politiques familiales assurent l’égalité des droits et de la reconnaissance sociale pour toutes les formes de parentalité.