Commission de l'éthique en science et en technologie

La généalogie génétique d’enquête (GGE) s’appuie sur les banques génétiques récréatives d’entreprises qui offrent des services de généalogie et de recherche des origines ethno-géographiques (ex. Ancestry; FamilyTreeDNA) ou qui offrent des profils génétiques de santé (ex. 23andMe). Ces services sont très populaires et leurs banques contiennent des millions de profils génétiques.

La GGE commence par la recherche de correspondances entre un échantillon d'ADN non identifié prélevé sur une scène de crime et les échantillons identifiés contenus dans les banques génétiques récréatives. Une correspondance partielle permettra d’identifier un lien de parenté.

Si une personne ayant un lien de parenté avec le suspect est trouvée, un arbre généalogique est construit (à l’aide de banques de données généalogiques, d’actes de mariages ou de décès, de registres de naissances, etc.) afin de constituer une liste de suspects potentiels et fournir des pistes d’enquête.

La liste de personnes pouvant faire l’objet d’une enquête est ensuite affinée, notamment en fonction du sexe du suspect inconnu, en écartant les personnes qui étaient décédées ou à l’étranger au moment du crime, etc. Certaines personnes peuvent fournir volontairement leur ADN afin d’être exclues de la liste. Les personnes restantes peuvent faire l’objet d’une enquête.

Si l’enquête a permis d’identifier des personnes soupçonnées d’être le criminel recherché, des agents d’infiltration peuvent être déployés afin de suivre secrètement ces individus et recueillir des objets qu’ils ont abandonnés afin d’obtenir leur ADN (ex. tasse, mouchoir). La correspondance exacte entre cet ADN abandonné et celui recueilli sur la scène de crime permettra de confirmer qu’il s’agit bien du même individu. Cela n’est pas en soi une preuve décisive de culpabilité (ex. l'ADN pourrait avoir été laissé à un autre moment ou par contact indirect), mais constitue néanmoins un des éléments de preuve.

Encadrement insuffisant au Canada

La GGE apporte des bénéfices importants : elle contribue notamment à identifier et possiblement à appréhender des criminels dangereux ou encore à identifier des cadavres ou des restes humains de victimes. Elle peut apporter des réponses permettant à des familles, des proches et des communautés de commencer ou de compléter leur deuil.

Toutefois, la GGE soulève aussi des enjeux éthiques non négligeables, notamment sur le plan de la vie privée et de l’autonomie des personnes. Or, les banques génétiques récréatives privées ne sont pas réglementées de façon spécifique. De plus, selon des parties prenantes (ex. Gendarmerie royale du Canada (GRC), Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario) et des chercheurs, les lois canadiennes existantes ne permettent pas d’encadrer l’utilisation de la GGE ni de répondre de manière satisfaisante à ces enjeux. Afin de pallier temporairement ces lacunes, le Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario a récemment rendu publiques des lignes directrices pour les services de police de la province.

Consentement et vie privée

Les entreprises de services génétiques récréatifs interagissent avec les services d’enquête policière selon différentes modalités. Certaines résistent et ne donnent accès aux informations génétiques de leurs utilisateurs et utilisatrices que lorsqu’elles y sont contraintes par un mandat de la cour. D’autres le font sans mandat, mais seulement lorsque l’utilisateur ou l’utilisatrice y a consenti. Selon les entreprises, le consentement peut être soit implicite, c’est-à-dire que la personne est présumée consentir par défaut et doit faire une démarche additionnelle pour refuser (opt-out), soit explicite, c’est-à-dire que l’utilisateur a fait une démarche additionnelle pour accepter que ses données soient utilisées dans des enquêtes (opt-in). Le consentement implicite est généralement reconnu comme étant moins respectueux de l’autonomie des personnes que le consentement explicite. Dans tous les cas, on peut se demander si les personnes comprennent bien tout ce qu’implique ce partage de leurs renseignements génétiques avec la police.

Le consentement explicite, libre et éclairé d’un individu ou un mandat de la cour ne résout pas tous les problèmes. En plus d’être extrêmement sensibles, les informations génétiques sont en partie collectives. En effet, chaque individu partage une portion d’ADN avec sa parenté. Ainsi, une enquête en GGE peut au départ reposer sur le consentement d’une personne apparaissant dans une banque (ou sur un mandat de la cour ciblant des personnes dans une banque). Reste qu’elle portera par la suite atteinte à la vie privée de parents proches ou éloignés (identifiés par les généalogistes) qui ne sont pas dans la banque et qui n’ont pas consenti à ce que leurs informations génétiques soient utilisées par la police.

Notons que la grande majorité des banques génétiques récréatives sont opérées aux États-Unis où les données personnelles ne sont pas gérées et protégées de la même façon qu’au Canada. Qui plus est, lorsque ces entreprises fusionnent, changent de propriétaire ou font faillite (ex. faillite de 23andMe), ce qui adviendra des données sensibles n’est pas toujours clair.

Implication de personnes qui ne font l’objet d’aucun soupçon raisonnable

Dans le contexte de la GGE, des personnes se retrouvent mêlées à une enquête criminelle alors qu’elles ne font l’objet d’aucun soupçon raisonnable. Le seul fait reliant ces personnes au crime est un lien de parenté avec une personne dont l’ADN, pour plusieurs raisons possibles, s’est retrouvé sur la scène de crime. Des experts estiment que cela porte non seulement arbitrairement atteinte à la vie privée, mais viole également l’esprit de ce qu’est la présomption d’innocence.

C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles, au Canada, la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques  ne permet pas d’effectuer, à partir d’ADN de scène de crime, des recherches de parentés dans la Banque nationale de données génétiques de la GRC (banque contenant les profils génétiques de personnes reconnues coupables de crimes graves). Seule la recherche de correspondance génétique complète est permise, soit celle permettant d’identifier directement la personne à qui l’ADN inconnu appartient. Or, les banques récréatives de données génétiques ne sont pas soumises à cette loi.

De plus, les informations sur les membres de la parenté obtenues lors de l’enquête se retrouveront vraisemblablement dans le dossier de la police. Tant qu’elles y resteront, ces informations risquent d’être volées, piratées, perdues ou même réutilisées dans d’autres enquêtes non reliées à la première.

La recherche d’un équilibre

En GGE, des valeurs et principes éthiques sont en tension. D’un côté, il s’agit d’assurer la sécurité du public, de rendre justice, puis d’apaiser les familles et proches des victimes. De l’autre, il faut favoriser l’autonomie des personnes, protéger leur vie privée et leur droit de ne pas faire l’objet d’une enquête sans soupçon raisonnable.

Afin de trouver un équilibre dans la poursuite de ces deux objectifs, on peut s’appuyer sur certains principes. Par exemple, suivant le principe de proportionnalité, toutes les autres approches d’enquête moins intrusives doivent avoir été tentées et avoir échoué. De plus, les préjudices associés à la GGE doivent être réduits au maximum puis justifiés par des bénéfices très importants. C’est pourquoi des lois ailleurs dans le monde, comme la loi de l’état du Maryland, n’autorisent la GGE que dans les cas de meurtre, viol, agression sexuelle grave ou tout crime qui constitue un sérieux danger pour la sécurité publique ou nationale, c’est-à-dire dans les cas où les bénéfices sont évalués comme étant supérieurs aux préjudices.

Enfin, il serait souhaitable que les services de police soient davantage transparents dans leur usage de la GGE de manière à favoriser leur imputabilité, l’examen démocratique et la confiance du public.

 

Date de mise en ligne : 23 octobre 2025
La généalogie génétique d’enquête : la recherche d’un équilibre

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