L’IA générative
Une IA est dite « générative » lorsqu’elle possède la capacité de générer de nouveaux contenus en réponse à des propositions textuelles d’un utilisateur. On peut penser à des plateformes textuelles comme ChatGPT, mais aussi à des plateformes de génération d’images, comme DALLE-E 2, Stable Diffusion ou Midjourney. Pour arriver à ces résultats, les IA génératives doivent être entraînées avec de grandes quantités de données : des textes, des photos ou des images. Or, ces éléments sont parfois protégés par le droit d’auteur. De plus, certains utilisateurs de ces plateformes désirent eux aussi protéger les créations réalisées sur celles-ci à l’aide du droit d’auteur.
Repenser le droit d’auteur
Le Canada a amorcé en 2021 une consultation à propos du droit d’auteur et de l’IA, mais n’a pas encore proposé de modifications à la législation qui permettraient de clarifier les questions de droit d’auteur en lien avec l’IA générative. En mars 2023, le Bureau américain du droit d’auteur a aussi lancé une consultation sur la portée du droit d’auteur sur les œuvres générées à l’aide d’outils d’IA et la possibilité d’utiliser du matériel protégé par le droit d’auteur pour l’entraînement de l’IA. De l’autre côté de l’Atlantique, le Parlement européen a adopté une position en faveur d’une nouvelle loi sur l’IA, qui exigerait notamment des systèmes d’IA générative qu’ils mettent à la disposition du public les résumés détaillés des données protégées par le droit d’auteur utilisées pour leur formation. De plus, en 2022, le gouvernement du Royaume-Uni a déterminé qu’il n’était pas nécessaire de modifier la loi afin de protéger par le droit d’auteur les œuvres produites par l’IA et y a introduit de nouvelles exceptions, afin d’autoriser l’utilisation de contenus protégés par le droit d’auteur dans le cadre du développement de systèmes d’IA. Au cœur de ces réflexions, on retrouve deux questionnements : l’un portant sur la possibilité de reconnaître des agents artificiels comme des auteurs (au sens de la loi), l’autre portant sur la possibilité d’utiliser des œuvres protégées par des droits d’auteurs comme des données d’entraînement.
Utiliser des œuvres protégées pour entraîner des algorithmes?
Au début de l’année 2023, aux États-Unis, trois artistes ont intenté un recours collectif contre Stability AI, Midjourney et DevianArt, qui ont tous les trois développé une plateforme d’IA générative. Selon ces artistes, ces organisations ont violé les lois sur le droit d’auteur en utilisant des images récupérées sur le web afin d’entraîner leurs algorithmes, sans le consentement des auteurs de celles-ci. Par ailleurs, au Royaume-Uni, Getty Image, une agence de photo et une banque d’images, poursuit aussi Stability AI. Non seulement le logiciel d’IA générative présente une tendance à reproduire le filigrane de l’entreprise, mais une étude indépendante a confirmé que des images appartenant à Getty ont été utilisées lors de sa phase d’entraînement.
Ces deux poursuites sont de bons exemples de l’intérêt, mais aussi de l’inquiétude, des artistes et du milieu culturel face à la multiplication des AI génératives et de leur impact sur le régime de droit d’auteur. Les artistes s’inquiètent aussi parce que, ultimement, les IA génératives pourraient leur faire concurrence. Par exemple, l’IA générative est au cœur des revendications de la grève des acteurs et scénaristes d’Hollywood. Les acteurs craignent de perdre le contrôle de leur image (par la création d’images de synthèse à partir de photos, d’enregistrements ou de vidéos) et les auteurs appréhendent leur remplacement par des plateformes telles que ChatGPT.
Des robots auteurs?
En outre, d’autres questions sur les droits d’auteurs concernent les extrants de l’IA générative. Ainsi, la juge américaine Beryl A. Howell a tranché au mois d’août en défaveur de Stephen Thaler, qui désirait faire protéger par le droit d’auteur une image générée par un algorithme qu’il a lui-même créé. Sa décision confirme la position du Bureau américain du droit d’auteur, qui avait déjà refusé la demande de Thaler. Ce dernier voulait faire reconnaître l’algorithme comme créateur de l’œuvre, alors qu’il en aurait été le propriétaire (puisque celle-ci serait alors une œuvre faite sur commande). Dans sa décision, la juge Howell reconnaît que les décideurs doivent se questionner sur le degré d’intervention humaine nécessaire pour protéger les œuvres d’art créées par l’IA. À la différence, les bureaux du droit d’auteur d’autres pays, comme le Canada et l’Inde, ont déjà reconnu à certaines IA le statut d’auteur, alléguant qu’une telle reconnaissance favoriserait l’innovation et l’investissement dans le secteur de l’IA. Néanmoins, la création d’œuvres à partir d’une IA générative peut nécessiter un très grand degré d’intervention humaine et peut constituer une nouvelle façon de faire de l’art (c’est pourquoi on parle maintenant d’« AI artists »). D’ailleurs, certaines entreprises qui développent des outils d’IA considèrent déjà que certains droits reviennent aux utilisateurs. Par exemple, dans ses conditions d’utilisation, OpenAI spécifie que les utilisateurs sont propriétaires du contenu généré par ChatGPT.
L’entraînement équitable
Face à ces interrogations, des chercheurs se sont questionnés sur la légitimité d’invoquer le droit d’auteur contre l’utilisation des contenus protégés comme données d’entraînement. Dans un article rédigé avec l’aide de ChatGPT, un professeur de droit et un professeur d’informatique ont proposé que l’entraînement des IA génératives devait être considéré au même titre que l’utilisation équitable (« fair dealing » au Canada et « fair use » aux États-Unis) et donc ne devrait pas être bloqué par les lois sur le droit d’auteur. La notion d’utilisation équitable permet l’utilisation de contenus protégés par le droit d’auteur dans le cadre de recherche, d’éducation, de parodie, de critique ou de reportage, entre autres, sans courir le risque de faire face à des sanctions. La notion d’entraînement équitable devra toutefois intégrer des balises afin d’assurer aux créateurs que leurs œuvres ne soient pas utilisées à d’autres fins et que les extrants des IA génératives ne soient pas utilisés dans le but de faire compétition aux créateurs ou d’usurper leur identité. Enfin, dans le contexte où les compagnies développant des IA génératives entendent monétiser leur technologie, certains suggèrent que l’équité exige qu’une compensation financière soit versée aux créateurs dont les œuvres servent à entraîner les IA génératives.
En conclusion, les législations sur l’IA générative commencent à intégrer des considérations sur le droit d’auteur, mais les artistes et les autres acteurs restent inquiets face au développement rapide de cette technologie. Une réflexion importante devra être menée afin de déterminer si l’entraînement de l’IA générative pourrait être considéré comme un processus équitable, auquel cas les lois sur le droit d’auteur seraient alors moins contraignantes.